Les Russes aux Fourons

 
 

L'ancien rémersdaelois Joseph S. Leenaerts avait écrit en 2001 un article pour l'UNION, le périodique des anciens du Collège Saint-Hadelin. J'ai retrouvé cet article dans les archives de l'ancien rédacteur en chef.

LES RUSSES DANS LES FOURONS

 

Diversifier ses centres d'intérêt est une manière de se distraire qui parfois conduit à réactiver des souvenirs mités par le temps.

Je viens de goûter au plaisir du renouveau en exhumant le passé.

Je désirais ainsi répondre à une question qui me fut posée, il y a peu. La voici, telle que je l’ai reçue.                                    

 

Au cours de la guerre 14-18, lors de la construction par les Allemands du tunnel de Rémersdael à Veurs, des prisonniers de guerre russes y auraient trouvé la mort et certains seraient enterrés dans des cimetières voisins de la voie ferrée. Qu'en est-il?

 

Mon intention est d'apporter ici certains détails qui confirment cette présence slave dans la région.

Ceux qui connaissent la ligne Montzen-Visé, savent que son tracé en territoire rémersdaelois compte plusieurs ouvrages d'art.

Ainsi, venant de l’Est, débouche à Remersdael le tunnel de Hindel.

Il est suivi d'un viaduc long de 400 mètres, puis d'un pont large de 60 mètres surplombant la route de Remersdael à Teuven.  Enfin, à l'extrémité d'une profonde tranchée longue de 900 mètres se dessine l'entrée d'un double tunnel, celui de Rémersdael à Veurs

soit deux voies souterraines distinctes, longue chacune de 2500 mètres environ.

Cette concentration d'ouvrages à Rémersdael motive le choix que fit pour y installer son P.C., un jeune officier allemand en charge du chantier.

C'était au début de la première guerre mondiale. Brillant ingénieur des mines, âgé de 26 ans, il était originaire d'Essen.

Cet ennemi, qu'on disait beau comme un dieu, tombe amoureux d'une jolie fille du pays.

Eperdument épris, le couple rejoindra l'Allemagne après la défaite de celle-ci, en novembre 1918.

 

Tragique destin que leur futur! En effet, la deuxième guerre mondiale brisera ce couple d'amoureux pas comme les autres.

Leur fils unique, enrôlé dans la Wehrmacht, est tué au combat, en juin 1944, lors du débarquement allié en Normandie.

Aussi, se jurant de protéger son épouse des bombes alliées larguées sur la Ruhr et sur Essen en particulier, son mari décide de l'abriter dans une villa sise au bord de la Möhnesee.... loin de tout danger, ose-t-il espérer.

Hélas, peu après l'hébergement de sa bien-aimée dans la plus luxueuse des villas, ce refuge est détruit par les bombes entraînant la mort de la dame.

Du grand amour survivra un témoin brisé, l'officier allemand.

 

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Mais la vie vous offre parfois des atouts insolites. En 1947, je suis en charge du 2ème Bureau de la Brigade belge installée à Soest. La Möhnesee, son barrage, ses villas relèvent de ma compétence en ce qui concerne la sécurité des lieux.

Et c'est ainsi que dans le cadre de mes missions, je rencontrerai à Essen l’officier-ingenieur qui connaissait Remersdael et ses ouvrages d’art. Je le voyais, non pas pour évoquer le passé, mais dans le but de connaître son point de vue sur des questions d' actualité ...car il jouissait de relations intéressantes dans toute l’Allemagne.

 

En ce qui concerne les tunnels, il me fit "en passant" une évocation des difficultés extrêmes rencontrées pour creuser « à la main » les percements de Remersdael à Veurs. En effet, la nature du sol était à ce point instable qu'il fallut se résoudre au choix d'une double trouée.

L'exceptionnelle fragilité de l'entreprise entraina la mort de plusieurs prisonniers de guerre. Certains furent enterrés dans les cimetières proches des chantiers.

 

C’est ainsi qu'en lisière du cimetière de Remersdael se trouvait un carré garni d'une croix sans inscription. Elle surplombait une fosse contenant le corps de prisonniers russes.

Un souvenir précis me revient.

J'avais dix ans. Nous fêtions la Toussaint. A l’époque, après les vêpres solennelles, le prêtre et les acolytes (dont j'étais), nous revêtions des habits de deuil. En cortège, nous nous rendions au cimetière pour la bénédiction des tombes joliment garnies. Arrivés dans le minuscule enclos, les paroissiens et apparentés se recueillaient sur les tombes de leurs défunts. Mes plus jeunes soeurs avaient suivi le cortège. Comme nous n'avions pas de tombe familiale à Remersdael, je les vis s'approcher du carré des Russes. Elles étaient seules à s'y pencher.

 

Evoquant le destin de prisonniers russes en notre région, je terminerai mon devoir de mémoire en évoquant un souvenir ... dont l'authenticité me paraît indéniable. Il date de 1927, soit neuf ans après la fin de la première guerre mondiale... alors que les souvenirs des témoins étaient encore fortement imprégnés de l'atmosphère de la grande guerre.

 

Ce jour j'accompagnais papa pour l’ouverture de la chasse en rase campagne. Le rendez-vous initial était fixé à cinq fusils et à deux rabatteurs, non loin du poste frontière de La Planck.

La chasse nous menait à travers champs et prairies d'amis du plateau de La Planck à Veurs et de là vers Fouron-Saint-Pierre. Je me souviens encore d'une longue halte que nous y fîmes dans une maison donnant sur la place de l’église. Au cours de celle-ci on nous offrit une soupe épaisse de légumes et riche en morceaux de viande. Suivait un gâteau de Verviers et le café au lait. Le tout se terminait pour les Messieurs par un péquet blanc.

Tous repus, la chasse reprend ses évolutions pour se terminer sur le plateau, à l'ouest du château de Magis.

Après le partage d'un maigre butin, tout le monde s'assied pour l'ultime halte.

 

Puis, un des chasseur raconte: «  Un soir quatre prisonniers de guerre russes s'évadent du chantier de Rémersdael. Passant par le Bois Rouge et autres couverts, ils parviennent à la grande ferme que voilà » et de nous montrer à deux encablures, au bout d'une allée de châtaigniers, une ferme-château. (Il s'agit de la ferme Loë, construite en 1773 par le Baron de Loë.)

 

« Le lendemain, dans le courant de l’après-midi, on a vu s’engager dans l'allee de châtaigniers une patrouille de deux gendarmes allemands à bicyclette. » Le conteur précise: « ils sont entrés dans la cour de la ferme. Ils n'en sont jamais sortis. »

On apprendra plus tard que les prisonniers russes auront quitté leur cache ,la nuit tombante. Leur intention était de gagner la banlieue liégeoise où ils seraient accueillis par des compatriotes.

On a aussi appris que les corps des gendarmes se trouvaient enfouis dans une fosse aussitôt camouflée sous un tas de fumier.

 

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La guerre? Ce sont aussi des mamans qui pleurent, ignorant que leurs fils disparus reposent dans de petits cimetières fouronnais ou gisent dans une fosse recouverte de fumier.

 

12.08.01  Joseph S. Leenaerts


 

 

 

Publié le 20 juin 2020 - Mis à jour le 20 juin 2020